DÉCRYPTAGE – Depuis plusieurs saisons, la durée passée sur les pistes tend à se réduire à la faveur des pauses et des activités annexes en station.
Située à 2127 mètres d’altitude dans la station pyrénéenne de Font-Romeu, la terrasse panoramique du nouveau restaurant La Galinna ne désemplit pas. La vue sur le massif du Carlit et la Sierra del Cadi y est imprenable. « Les skieurs aiment désormais faire une pause longue, de deux ou trois heures, pour déjeuner ou prendre un bain de soleil », constate Jacques Alvarez, directeur de la communication d’Altiservice, gérant de cette station, où le biathlète Martin Fourcade a débuté, et des stations voisines de Saint-Lary-Soulan et Cambre d’Aze.
Dans les Alpes, à Val d’Isère, ce sont des passerelles suspendues menant les visiteurs de cabane en cabane qui incitent à déchausser. « Les skieurs s’arrêtent plus souvent. Le Village Perdu, qui se visitera l’été, est tout de suite devenu un lieu prisé, pour jouer ou prendre des photos pour Instagram », décrit Christophe Lavaut. Et le directeur général de Val d’Isère Tourisme d’ajouter que « les skieurs qui font une journée de huit heures avec un sandwich dans le sac à doc se comptent sur les doigts d’une main ».
On peut estimer que le temps passé sur des skis a été ramené de six à quatre heures par jour
Laurent Reynaud, délégué général des Domaines Skiables de France (DSF)
« D’année en année, les clients skient en effet un peu moins, pointe Jean-Yves Remy, PDG du groupe Labellemontagne, gérant entre autres des stations familiales La Bresse-Hohneck dans les Vosges et Risoul dans les Hautes-Alpes. Cela s’explique avant tout par l’évolution du ski d’un sport vers un loisir. L’on vient passer un bon moment au grand air et pas une épreuve sportive », ajoute-t-il. L’évolution, observée dans d’autres sports tels que le vélo, est toutefois lente et les habitudes varient d’une station à une autre.
«Nous manquons de données, mais on peut estimer que le temps passé sur les skis a été ramené de six à quatre heures par jour », explique Laurent Reynaud, délégué général des Domaines Skiables de France (DSF). Logique, relève Eric Brèche, président du syndicat national des moniteurs, si on sait qu’« un parcours qui se faisait en trois heures se fait désormais en deux heures en raison de l’amélioration des pistes, mieux damées et moins techniques, et des skis, adaptés à tous les profils ».
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Dix descentes par jour
Un autre facteur déterminant est la baisse du temps d’attente pour les plus de 3000 remontées mécaniques peuplant les six massifs. Partout, tire-fesses et télésièges font place à des cabines fermées plus confortables et mettant surtout deux à trois fois moins de temps pour arriver au sommet. « Un télésiège débrayable, par exemple, avance à 7 mètres par seconde. De plus, le dénivelé par remontée augmente et peut atteindre un kilomètre », détaille Laurent Reynaud. Alors qu’on pourrait s’attendre à ce que les skieurs remontent plus souvent, c’est l’inverse qui se produit : « sur nos pistes, une personne faisait en moyenne quinze descentes par jour il y a une quinzaine d’années contre dix aujourd’hui », témoigne Jean-Yves Remy. Un chiffre qui correspond aux dix à onze allers-retours par personne par jour constatés par DSF. « On skie sans doute moins longtemps, mais on fait plus de kilomètres et on atteint donc plus rapidement sa limite physique », constate Eric Brèche, ex-moniteur à Courchevel.
Le nombre de journées passées sur les pistes, en revanche, ne baisse pas : « C’est contre-intuitif, mais pour le moment, ce n’est pas le cas, reconnaît le délégué général de DSF. Le forfait classique reste prédominant (47% du total d’après un relevé de DSF auprès de 39 stations sur 250, NDLR), en raison de son prix attractif, incluant une journée gratuite, et sa praticité ». Dans le domaine alpin des Trois Vallées, un tiers des acheteurs de la carte hebdomadaire ne l’utilisent que cinq jours. « Le renoncement peut être lié à une mauvaise météo, mais aussi motivé par la volonté de faire d’autres activités pour lesquelles on peut d’ailleurs utiliser son forfait. En somme, nous savons quand une personne prend les remontées mais pas s’il va skier et combien de temps », soulève Lorraine Merle, directrice marketing de Méribel Alpina.
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Complémentarité
De plus en plus, les vacanciers ponctuent leurs journées de pauses, les skis à côté d’un transat, mais aussi de moments sans ski du tout, où ils les laissent dans leur casier pour s’adonner à un autre passe-temps. En 2021, deux personnes sur trois ont renoncé à rejoindre la montagne en raison de la fermeture des pistes. Ils ont en revanche été nombreux à faire le choix de la découvrir autrement. Selon une étude de DSF réalisée en septembre, les Français pratiquent en moyenne déjà trois autres activités : parmi leurs préférées, la balade à pied (48 %), la luge (31 %) et la raquette à neige (29 %). Elles cochent les mêmes cases que le ski : passer des vacances dans la nature, en famille et plutôt actives. D’après la chambre professionnelle toujours, malgré l’engouement pour le ski de fond ou le snowboard, le ski alpin reste un incontournable : deux Français sur trois ont chaussé des skis, un sur deux est pratiquant et un sur cinq de façon régulière.
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« Il y a une vraie complémentarité entre le ski et les autres activités sur et en dehors des pistes. Il faut noter que cette diversification, comme dans notre station avec un centre aquasportif et une salle de lasergame en 2023, est menée pour la période hivernale comme estivale », souligne Christophe Lavaut de Val d’Isère Tourisme. Et d’énumérer les activités proposées par l’office, dont l’ice floating (relaxation dans de l’eau glacée), des visites guidées et des concerts. Sans compter les animations gourmandes avec des agriculteurs : à Saint-François Longchamp, viandes et fromages savoyards sont grillés sur les nouveaux braseros d’une aire de repos. De même, les hôtels aux sommets et dans les vallées enrichissent leur offre bien-être, avec un spa par exemple comme l’a fait La Chaudanne à Méribel. À Font-Romeu, c’est Altiservice qui propose d’ajouter 2 euros au forfait de ski pour l’accès aux thermes.
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Lien avec la montagne
Alors que les stations ne cessent de rallonger les journées avec l’éclairage des pistes (notamment à La Bresse-Hohneck, où l’on skie de 6 heures à 21h45), les skieurs ne sont limités que par l’envie… et leur capacité à les dévaler. Et si les pratiquants étaient, tout simplement, moins en forme que leurs prédécesseurs et donc incapables de tenir six heures sur des skis ? Eric Brèche n’est pas de cet avis : « Après deux années sans ski, nous observons une légère hausse du nombre d’accidents cette saison, mais qui va de pair avec la hausse de la fréquentation ».
Le vieillissement de la population des skieurs inquiète davantage la profession. « Leur part dans la tranche 35-45 ans est constante, la part des plus des 50 ans augmente. Celle des jeunes tend en revanche à baisser en raison notamment de la raréfaction des classes découverte », pointe Laurent Reynaud. Les stations œuvrent avec les régions des massifs pour que les enfants créent un lien avec la montagne et, plus grands, viennent y skier, même moins longtemps qu’avant. Et surtout qu’ils continuent d’aller en station y compris si la neige devait commencer à manquer.
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