DÉCRYPTAGE – Cette redevance, que doivent payer la SNCF et Trenitalia pour emprunter les voies ferrées, est l’une des plus élevées d’Europe. Mauvaise nouvelle : elle va encore grimper.
C’est une grande contradiction qui traverse le secteur ferroviaire. Transport plus écologique que l’avion, le train coûte souvent plus cher en France, notamment sur des trajets internationaux. L’exemple du Paris-Barcelone en est même devenu un symbole. Prenons un aller-retour direct prévu entre les 19 et 23 avril : compter 275 euros pour le train (sans carte de réduction), contre 130 euros pour l’avion, pour les tarifs les moins élevés. Un paradoxe qu’a souligné le journaliste Hugo Clément dans le dernier numéro de son émission Sur le front, diffusé le 13 février sur France 5.
Mauvaise nouvelle : alors que la SNCF a augmenté de 5 % en moyenne le prix de ses billets de train en janvier, la hausse pourrait être encore plus rude dans les années à venir. En cause ? La majoration des péages ferroviaires, perçus par le gestionnaire de l’infrastructure ferrée en France, SNCF Réseau. L’Autorité de régulation des transports (ART) lui a donné son feu vert pour augmenter ces droits de péages de manière significative, afin de faire face à l’inflation. Pour les lignes à grande vitesse (LGV), la majoration pour les transporteurs s’élèvera à +7,6 % en 2024, puis +2,9 % en 2025 et +1,9 % en 2026. Pour les «services conventionnés» (Intercités et TER), la hausse affichée atteindra +8 % l’an prochain, puis +6,4 % en 2025 et +5 % en 2026.
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35% à 40% du prix d’un billet de train
Pour rappel, cette redevance, dont doivent s’acquitter les opérateurs ferroviaires (la SNCF, Trenitalia et bientôt Railcoop), équivaut entre 35 et 40 % du prix des billets pour les TGV et 15 % de ceux d’un TER. Elle est l’une des plus élevées d’Europe. À l’heure actuelle, elle s’élève à 9 € du kilomètre en moyenne pour les TGV, rapporte l’émission Sur le front, tandis qu’elle atteint plus de 8 € sur une voie classique, nous dévoilait FlixTrain (contre 2,77 € en Italie et 1,45 € en Suède). Cette compagnie concurrente de la SNCF, qui projetait d’exploiter des axes autrefois desservis par les trains Corail, a jeté l’éponge face aux tarifs pratiqués.
Contacté par Le Figaro, SNCF Réseau, qui prélève ce péage ferroviaire, se défend des tarifs élevés : «Rapportés à des indicateurs de référence comme la tonne-kilomètre ou le passager-kilomètre, les prix des péages français se situent dans la moyenne européenne.» Et de citer les chiffres de l’ART : «Ils s’élèvent ainsi à 0.0064€ la tonne-kilomètre pour les trains de fret, 0.045€ par passager-kilomètre pour les trains régionaux et 0.033€ par passager-kilomètre pour les trains à grande vitesse.»
Comme nous l’explique le gestionnaire, les péages sur les TGV sont «fixés par grands axes de trafics, en fonction du potentiel de marché et de la concurrence intermodale (routière et aérienne)». Par ailleurs, d’autres critères sont également pris en compte, comme «la rentabilité des circulations (…) sur un trajet considéré, des coûts variables générés sur l’infrastructure par ces circulations, et de la soutenabilité des différentes activités ferroviaires (considérée comme limitée pour l’activité fret, par exemple).»
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Les péages, «une ressource essentielle» pour SNCF Réseau
Demeure une question : ces tarifs sont-ils justifiés ? En France, les péages ferroviaires constituent une ressource essentielle pour SNCF Réseau. «Le modèle français est à part en Europe : 100% de l’entretien et de la rénovation de notre réseau structurant repose sur les péages, tandis que d’autres pays européens ont fait le choix de subventionner le gestionnaire d’infrastructure pour maintenir des péages faibles», expose le gestionnaire. La faute donc à un manque d’implication financière de l’État ? «Les péages permettent de compenser tous les investissements réalisés», détaille Alexandre Charpentier, expert ferroviaire chez le cabinet de conseil Roland Berger.
Et de prendre l’exemple de la signalisation ferroviaire. «Sur la ligne Paris-Lyon, l’une des plus saturées de France, SNCF Réseau a réalisé un travail important pour arriver aux standards les plus en pointe dans le domaine. Ceci, dans le but d’augmenter la cadence pour la SNCF, mais aussi pour des concurrents comme Trenitalia», poursuit l’expert. Le comparatif avec d’autres pays s’avère d’autant plus piégeux que la France possède un mix ferroviaire largement tourné vers la grande vitesse, très gourmand en investissements. «Les LGV exigent des entretiens réguliers. Les péages permettent de payer cette mise à niveau permanente», indique Alexandre Charpentier.
Si FlixTrain a renoncé à s’installer à cause de cette redevance, ce n’est pas le cas de Trenitalia. La compagnie italienne, qui exploite le tronçon Paris-Milan via Lyon depuis décembre 2021, a négocié des tarifs à la baisse avec SNCF Réseau pour ses premières années d’exploitation. La réduction s’élève à 37% pour la première année et à 16% pour la deuxième. 2024, année d’une optionnelle ristourne de 8%, est actuellement en discussion. «Cette réduction, tout à fait conforme au droit européen, a vocation à ‘réduire les inégalités de marché’. Cela revient à dire qu’un nouvel entrant a besoin de réaliser des investissements, comme le marketing, pour arriver à des conditions de compétition justes avec un acteur existant. Cela représente des surcoûts provisoires que la baisse des pages est censée compenser», explicite Alexandre Charpentier. Une ristourne dont pourrait également bénéficier la compagnie espagnole Renfe, qui, après son divorce avec la SNCF, prévoit de faire circuler ses trains des deux côtés des Pyrénées dans le courant de l’année.