PSYCHOLOGIE – Après un long voyage ou après avoir vécu à l’étranger, certaines personnes subissent de plein fouet le contrecoup de leur retour. Déprime, sentiment de décalage, nostalgie… Ils racontent.
Septembre 2009, Matthieu, 20 ans à l’époque, s’installe à Madrid pendant deux ans pour étudier le droit espagnol. Deux années à propos desquelles il ne tarit pas d’éloges. «Absolument tout me plaisait : la ville, belle, agréable, propre.. Les températures douces, les gens simples, l’ambiance bon enfant, la langue, les prix… Tout, tout, tout !». 2011, Matthieu rentre en France pour poursuivre son cursus. Immédiatement, c’est la douche froide. Tout lui paraît compliqué. D’un coup, il se sent étranger, a l’impression de «ne plus avoir les codes».
«On parle de “choc du retour”, de “choc culturel inversé”», théorise Barbara Vionnet (1), psychologue clinicienne spécialiste de l’expatriation, pour décrire ce sentiment brutal de se sentir étranger dans son propre pays après un long voyage ou après avoir été expatrié. Elle explique : «Les personnes qui partent longtemps à l’étranger s’imprègnent d’une autre culture, elles créent d’autres liens, changent. Celles restées sur place également, ce qui peut créer un décalage si les deux n’évoluent pas dans le même sens». Ça a été le cas pour Camille, 30 ans, ancienne consultante pour une marque de luxe. Lorsqu’elle revient en France pour passer les fêtes avec ses proches, cet hiver, après 10 mois en Amérique du Sud, elle déchante. «Avec certains de mes amis, nous n’étions plus sur la même longueur d’onde, nous n’avions plus les mêmes perceptions. J’ai changé, ils ont changé», réalise-t-elle.
À table, les blagues fusaient, je n’arrivais pas à suivre
Un sentiment partagé également par Constantin, 25 ans, parti voyager en Nouvelle-Zélande il y a trois ans, à la fin de ses études. Quand il est revenu rendre visite à sa famille et à ses amis en juin dernier, il a senti un décalage. «Rien qu’au niveau de la langue : ça m’a fait bizarre ! Je n’avais pas parlé français (hors coups de téléphone avec ses proches, NDLR) depuis trois ans», explique-t-il. Du côté des sujets de conversation aussi, le jeune homme est rapidement déstabilisé. «Ça parlait boulot, prix des loyers, politique… Moi je n’avais pas abordé ça depuis mon départ», confie-t-il. Puis tout allait trop vite pour lui : «À table, les blagues fusaient, je n’arrivais pas à suivre».
Autre élément perturbant pour les voyageurs de retour dans leur pays d’origine : le temps de leur absence, leur environnement a également évolué. «Ceux qui partent un temps pensent parfois retrouver ce qu’ils ont laissé tel quel. Or, lorsqu’ils reviennent et se rendent compte que ce n’est pas le cas – que leurs représentations ne sont plus en accord avec la réalité -, cela peut provoquer chez eux une sensation de décalage, de perte de repères», complète Philippe Drweski (2), psychologue et maître de conférences à l’Université Paris Cité. Ils ne se sentent plus chez eux. Sans que la destination d’où ils reviennent ne soit devenue chez eux non plus. «J’ai l’impression de n’appartenir à aucun endroit», avoue Camille.
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Effet boomerang
Parfois même, ce retour aux sources à un effet boomerang. «La vraie raison de leur départ – inconsciente souvent – leur revient alors», indique Philippe Drweski. Pour Constantin, ça a été des études stressantes, situées loin de chez lui. «À l’époque, je perdais mes cheveux tellement j’étais angoissé par mon boulot et par les transports», raconte-t-il. «D’ailleurs, avant même de décoller, j’appréhendais l’idée de devoir prendre le RER à ma sortie de l’avion…» Pour Camille, ça a été un boulot dans lequel elle ne s’épanouissait pas mélangé à une soif irrépressible d’aventures.
Pour se prémunir de ce choc du retour, Barbara Vionnet est formelle : «il faut impérativement le préparer au maximum». Elle suggère de redécouvrir son ancien environnement avec les mêmes yeux avec lesquels on aurait découvert un endroit inconnu, ou plutôt connu devenu plus ou moins étranger. Le tout, en évitant toute comparaison. «Cela facilitera la réadaptation», selon elle. Philippe Drweski poursuit : «il ne faut pas hésiter à en discuter avec ses proches pour désamorcer la situation et avec des gens qui ont déjà été dans le même cas et qui peuvent s’avérer être de vrais soutiens». Qu’à cela ne tienne, de toute façon, «la majorité des personnes qui souffrent de choc culturel inversé à leur retour finissent par repartir», conclut la spécialiste. Véridique. Direction le Sud de la France pour Matthieu, l’Australie pour Constantin et la Colombie pour Camille…